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Classiquement, les interactions homme - système artificiel (IHSA) ont été étudiées par le seul intermédiaire des changements du comportement humain face à une variation du système. Si cette approche a permis de faire progresser les IHSA, surtout lorsque les observations débouchaient sur de la modélisation descriptive, un pan important de l'interaction reste néanmoins méconnu. En effet, alors que, par exemple dans l'aéronautique militaire, les contraintes physiologiques étaient prises en compte (ex : voile noir), les contraintes cognitives créées par le fonctionnement du cerveau étaient largement méconnues. Dans cette perspective, l'erreur humaine devient un "symptôme" des carences du système. Une approche originale et innovante pour traiter la problématique des interactions homme-système est d'utiliser les outils et les concepts des neurosciences intégratives et de la neuropsychologie. Les travaux de ces disciplines, basées sur l'étude du substrat des mécanismes cérébraux des fonctions cognitives, ont fait progresser les connaissances sur la compréhension des interactions de l'homme avec son environnement. Ces résultats scientifiques suscitent depuis peu l'intérêt pour les facteurs humains et ont donné très récemment naissance à un nouveau courant aux Etats-Unis : la neuroergonomie. C'est dans cette démarche de neuroergonomie que nous avons tenté de mieux comprendre la similarité de certains troubles des fonctions exécutives (FE), capacités cognitives de haut niveau, qui apparaissent chez le sujet diminué (pathologie neurologique, manque de sommeil, prise de certains médicaments etc.) et chez le pilote sain en situation dégradée. En effet, les erreurs de pilotage peuvent être, dans certains cas, attribuées à des perturbations temporaires des FE. Ces constatations plaident en faveur de l'hypothèse de mécanismes cérébraux communs suggérant l'existence d'un continuum cognitif (Pastor, 1999), des performances intellectuelles optimales à un fonctionnement très dégradé, proche de celui retrouvé dans la pathologie. Nous avons réalisé une première étude visant à comprendre l'influence du risque et de la récompense sur la prise de décision en aéronautique, en utilisant un protocole de neuroéconomie, des mesures psychophysiologiques et l'IRMf. Les résultats préliminaires de neuroimagerie indiquent que le passage de la prise de décision "à froid" vers la prise de décision "à chaud" se traduit par un basculement préfrontal dorsolateral (siège des FE) vers des activations préfrontales ventromédianes (aire connectée aux régions émotionnelles du cerveau). Ce basculement était accompagné d'une augmentation du rythme cardiaque, signe de l'effet émotionnel provoqué par la récompense. Nous avons également mené une étude afin de détecter les perturbations subtiles des FE au cours du vieillissement normal pour définir des indices prédictifs de la capacité à piloter dans l'aviation générale où aucune limite d'âge n'existe. Les résultats ont mis en évidence la grande vulnérabilité de certaines FE aux effets de l'âge et, par ailleurs, que les capacités de raisonnement, de mémoire de travail mais aussi l'expérience de vol et le niveau d'impulsivité trait étaient associés à la performance de pilotage et à l'erreur décisionnelle. Enfin, nous avons opérationnalisé nos résultats par des expérimentations réalisées en vol réel en employant des mesures oculométriques. L'étude a montré la fiabilité du système à collecter les prises d'informations visuelles des pilotes. La dilatation pupillaire semblait également pointer certains effets du stress et de la charge cognitive. Toutes ces recherches illustrent la capacité de la neuroergonomie à nourrir en retour les disciplines dont elle émerge, notamment les facteurs humains.